De l’idée au produit
Comment passe-t-on des prémices d’un concept à sa concrétisation matérielle ? Telle est l’interrogation soulevée par Timothée Rubino, président d’Itera Innovation, qui explique tout le processus qui s’opère entre le moment où germe l’idée d’entreprendre et celui de sa réalisation. Autrement dit, le cheminement de la phase d’idéation au premier million d’euros de chiffre d’affaires.
L’aventure entrepreneuriale, un chemin de croix
Devenir entrepreneur ne s’apprend pas à l’école : « On peut s’aider avec des formations, et notamment celles d’emlyon, mais l’entrepreneuriat s’apprend sur le terrain en testant, en réussissant, en échouant et par les expériences des autres qui permettent de gagner beaucoup de temps. » D’emblée, Timothée Rubino explique qu’entreprendre est loin d’être de tout repos. Seule, une bonne idée n’a que peu d’intérêt : c’est son exécution qui lui donne toute sa valeur. « Qui n’a jamais entendu quelqu’un dire qu’il avait eu l’idée du siècle avant qu’un autre ne la développe ? », interroge l’expert à juste titre.
Sans vouloir décourager la prise d’initiative, Timothée Rubino tient à mettre en garde quant à la rudesse de la création d’entreprise et relativise le côté glamour du statut d’entrepreneur souvent bien prégnant dans l’imaginaire collectif. L’expert énumère plusieurs critères à prendre en compte par un futur entrepreneur souhaitant lancer son affaire :
- travailler plus et gagner moins qu’un salarié, surtout à ses débuts ;
- engager ses ressources financières personnelles et prendre des risques sur ses biens propres, pouvant allant jusqu’à la faillite personnelle ;
- obtenir l’accord exprès de son conjoint, le cas échéant ;
- disposer d’une couverture sociale moindre voire inexistante (retraite, assurance chômage…) ;
- subir une forte pression sociale à la réussite, en comparaison au statut plus traditionnel de salarié ;
- ne pas avoir de patron certes, mais être constamment à la disposition de ses clients et de ses équipes ;
Au vu de l’ensemble de ces paramètres, loin d’être exhaustifs, l’entrepreneur doit faire preuve de savoir-être pour surmonter ces obstacles. En phase d’idéation, les risques qui concernent un entrepreneur sont le fait de ne pas avoir assez anticipé la difficulté d’entreprendre et la saturation du marché dans lequel il se projette.
L’étude de marché, feuille de route de l’entrepreneur
Timothée Rubino affirme que « présenter son projet à des investisseurs avec une accroche telle que ‘Cette solution n’existe pas’ ou ‘X est la première solution qui…’ ne fonctionne pas ». Les investisseurs étant confrontés à beaucoup d’idées, il est alors peu probable qu’ils découvrent pour la première fois un concept, ou alors il n’y a pas de marché pour celui-ci.
« Je pose une centaine de questions aux start-ups que j’accompagne pour lever des fonds ou pour y investir, sur les thèmes suivants : l’équipe, l’offre, la production, le marché, la vente, le financement et l’administratif. Cela me permet d’établir un état des lieux et de repérer les forces, les faiblesses, les deal breakers ou les axes d’amélioration. »
L’équipe
S’associer est la clef de la réussite : « On ne peut pas tout faire seul, et quand cela a été le cas, cela signifie souvent que le coassocié originel a été évincé en cours de route. » Il est globalement très compliqué de se faire tout seul, au vu de la variété des ressources et des compétences requises pour mener une start-up au succès. Le président d’Itera Innovation recommande de bien définir les rôles entre les cofondateurs en fonction des compétences métiers et de répartir le capital selon l’investissement, l’implication et les responsabilités de chacun. Côté ressources humaines, recruter est la condition sine qua non à la croissance. « Attirer des talents est la plus grande qualité de l’entrepreneur », relève l’expert, tout comme s’entourer de mentors donne du crédit au projet et permet d’identifier les pièges à éviter.
L’offre
Proposer une offre différenciante et/ou meilleure que celle déjà existante est à privilégier plutôt que de miser sur une politique de prix trop agressive. Le nouvel entrant ne voit pas toujours tous les coûts associés à son produit ou son service. À vouloir être compétitif par les prix, la marge dégagée est bien moindre, ce qui réduit d’autant les possibilités de réinvestir. C’est pourquoi il vaut mieux se focaliser sur l’offre en elle-même plutôt que le prix.
Pour convaincre des investisseurs, l’expert conseille de ne pas adopter une politique de produit ou service unique mais de privilégier un catalogue.
Enfin, tant que l’on est dans une phase d’amorçage (en France, il s’agit de tours de financement allant jusqu’à un million d’euros investis par des Business Angels ou des fonds de seed), il est parfaitement possible de s’autoriser à modifier son offre pour repenser, adapter le modèle économique et le tester auprès de sa cible : la politique tarifaire, le type d’abonnement, etc. Une fois la rentabilité atteinte et alors que l’entrepreneur vise des tours de financement plus conséquents (séries A, B), il devient plus délicat d’imposer un pivot à ses investisseurs.
La production
L’une des premières choses à faire est de réaliser un schéma du processus industriel ou de service, qui consiste à lister toutes les étapes et tous les prestataires impliqués dans l’élaboration de l’offre. En phase d’idéation et avant de se lancer, cela passe par le fait d’aller rencontrer les parties prenantes, de s’assurer de leur volonté de collaborer et de vérifier l’ensemble des conditions de fabrication : coûts, délais, quantités, qualité, etc. C’est l’occasion d’identifier les étapes optimisables pour se distinguer de la concurrence.
Le marché
La réalisation d’une étude de marché est une étape à ne pas sous-estimer car elle permet de poser les fondations :
- évaluer la taille du marché en euros pour savoir s’il est profitable ;
- identifier les forces en présence : connaître le comportement de sa cible, le modèle de ses concurrents, les forces et faiblesses de chacun ;
- bâtir un écosystème avec les leaders du marché et leur exposer son projet, pour éventuellement nouer un partenariat ;
- s’assurer de la viabilité du projet et de son propre engouement à le porter pendant les dix prochaines années ;
- définir son plan d’action.
La vente
« Le CEO est aussi le premier commercial de la société », affirme Timothée Rubino. Identifier le bon interlocuteur chez le client, qui n’est pas forcément celui auquel on pense instinctivement, permet de savoir qui est décisionnaire et d’établir en conséquence une stratégie adaptée au profil visé, qui peut par la suite être étendue à l’ensemble des prospects. L’expert conseille de ne pas hésiter à commercialiser un produit qui n’a pas encore vu le jour, notamment via le levier du financement participatif.
Vendre des preuves de concept est une option intéressante : en coconstruisant une offre sur mesure avec des clients en contrepartie d’une participation financière, l’entrepreneur s’assure de répondre à des besoins existants, démontre aux investisseurs une certaine capacité à vendre et prouve l’intérêt pour son offre. L’expert encourage alors à « tester et à observer le comportement des prospects » au moyen d’études qualitatives et quantitatives : sondages, enquêtes, focus groups, tests A/B… Les investisseurs sont aussi amenés à vérifier le cycle de vente : le processus jusqu’à la vente, les canaux utilisés, les interlocuteurs contactés, etc.
La finance
Toutes ces opérations susmentionnées ont un coût, d’où la nécessité de prévoir un budget minimal car, même en amorçage, certaines dépenses sont inévitables. Pour y faire face, il existe plusieurs solutions de financement :
- la levée de fonds issus d’investisseurs proches de l’entrepreneur (love money) ;
- le financement participatif (crowdfunding) ;
- les proof of concept ;
- la signature de contrats ;
- les aides et subventions régionales, le prêt à taux zéro, etc.
Ces démarches requièrent une certaine introspection pour évaluer sa propension au risque : quitter son emploi, investir toutes ses économies, impliquer ses proches… C’est une prise de risques financiers qui doit être partagée entre entrepreneurs et investisseurs, mais qui engage d’abord les premiers puis les seconds.
L’administratif
La question du moment propice à la création d’entreprise peut se poser, tandis que Timothée Rubino conseille de la créer « le plus tard possible, dans une stratégie d’épargne et quand on est sûr d’aller au bout du projet » ou lorsque l’absence d’immatriculation devient un obstacle trop important à son développement. Cela implique de déterminer son statut juridique (SA, SAS, SARL, EURL, EI…). « La création d’une société en France est très simple, sa fermeture administrative est en revanche souvent plus lourde » précise l’expert. S’ensuit le dépôt de la marque pour la protéger à l’INPI et l’achat du nom de domaine correspondant. Si nécessaire, l’expert recommande de consulter des professionnels de la propriété intellectuelle, notamment pour les problématiques relatives aux brevets.
En conclusion, l’entrepreneuriat constitue un véritable challenge qui dépasse l’aspect purement financier. Il est néanmoins possible de réussir, à condition de disposer d’une préparation appropriée et d’adopter une stratégie adéquate. Plus qu’une chose à faire : vous lancer !
À propos
Commençant sa carrière comme Deputy Vice President de grands groupes industriels internationaux, Timothée Rubino a par la suite cofondé deux start-ups : Ksam à Hong-Kong (masques filtrants respiratoires) et MyPopotte à Paris (marketplace de plats cuisinés maison). Il rejoint ensuite l’investissement et accompagne plus de 80 startups dans leurs recherches de financement privé, pour plus de 35 millions d’euros levés auprès de Business Angels, Family Offices et Fonds d’investissement. Il développe au fil des années un réseau étendu et possède une expertise solide dans le sourcing, la qualification, la négociation, la préparation des actes juridiques, le suivi et la sortie d’investissements. Il est aujourd’hui président de Itera Innovation, une société de conseil en opérations haut de bilan, et de Itera Invest, un fonds d’investissement spécialisé en amorçage. Alumni, Timothée Rubino est mentor à l’incubateur-accélérateur depuis 2019.
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